Le mirobolant et le terne !
Le ‘’mirobolant’’ et le ‘’terne’’…!
J’arrive devant la porte de la clinique médicale fermée, une longue lignée de personnes attend l’ouverture en silence. Les quelques soupirs des gens cassent cette désagréable quiétude. Je m’adosse au mur, jaune- noirci, du couloir ; je patiente .Je regarde vers la porte du bureau et j’essaie de lire sur un écriteau, encore une fois, le heures d’ouverture. Je ne me suis pas trompé; je suis à l’heure mais je suis surpris de la prise d’assaut par tous ces gens qui doivent, elles aussi de si bonne heure, souffrir de quelques dérangements physiques quelconques.
Moi c’est un mal de ventre a me couper le souffle qui m’amène là. Un tantinet impatient je murmure, tout bas :
-Que se passe-t-il donc, dorment- ils tous là-dedans ?
Ma voisine, elle aussi endossée au mur, me fixe d’un regard vide, comme si sa souffrance l’avait hypnotisée d’aplomb. Je détourne les yeux et continue a prendre mon mal en patience.
Au début de la colonne, près de la porte, trône un homme qui en impose de sa stature. Il a dû arriver un des premiers pour ne pas manquer l’ouverture. Il porte un costume chic rayé avec cravate. Ses souliers de cuir patent brillent d’éclats sous la lumière blafarde des néons du plafond. Il ne dit mot, lui non plus, il attend comme un soldat au garde à vous le signal d’ouverture de la clinique. Non loin de moi, un autre homme, habillé plus sobrement, très simplement même, regarde le mur face à lui. Un petit sourire narquois est figé sur ses lèvres et ses yeux lancent un minuscule éclat de lumière interne .Il semble respirer la sérénité et le bien –être intérieur. De son calme, a le regarder, la vie lui paraît facile et agréable. Dans mon dos, une petite fillette trépigne tandis que sa mère lui enjoint de rester paisible.
Enfin la porte s’entrouvre et une secrétaire enlève l’écriteau qui indique fermée.
La colonne s’ébranle avec un petit empressement poli.
Nous entrons, un par un, dans l’antre de la médecine. Les secrétaires, derrière la baie vitrée, s’affairent a classer et reclasser des dossiers et a répondre au téléphone .Je suis le neuvième en ligne et je calcule mon temps d’attente. Me précédant la dame au regard vide demande à la réceptionniste :
-Est-ce que ça va être long ?
Et la secrétaire de la rassurer que ce sera rapide ce matin. La patiente se dirige vers la salle d’attente et s’écrase, emmitouflée de son manteau, sur une chaise Elle disparaît dans son vêtement pour se réchauffer.
Mon tour vient et, après les formalités d’usage, je vais me choisir une chaise dans la grande salle. Je me place tout au fond et j’examine les alentours. Je suis à proximité du type en habit et souliers de cuir patent et de l’homme calme, assis côte à côte. Le silence règne dans la salle d’attente brisée par les sonneries des téléphones qui rugissent et les appels des médecins qui ont commencé leur boulot.
La petite fille et sa maman s’assoient en face de moi. La mère, précautionneuse, sort de sa poche un petit livre de contes pour enfants au grand délice de la fillette. La voix douce de la maman attire l’attention des gens dans la salle et nous l’écoutons religieusement. Un médecin sort de son bureau pour aller cueillir des dossiers que les secrétaires ont préparés pour lui. Il appelle sa première patiente qui se lève et le suit immédiatement. La fillette écoute attentivement les phrases que sa mère lit du livre de contes.
Je lève les yeux et calcule le nombre de personnes qui sont avant moi. Je soupire délicatement .Je dirige mon regard vers le quidam en costume qui se dandine sur sa chaise. Un soubresaut d’impatience trahi sa prestance. Il cherche du regard une approbation et reste bredouille. Il se cambre vers sa droite et dévisage son voisin ; le petit homme calme. Ce dernier, toujours avec son sourire accroché au visage, lui rend son regard. L’autre, sans attendre son reste et impertinemment ouvre la bouche et lui déclare :
-C’est long ces attentes. À toutes les fois que je viens ici c’est long a ne plus finir. Et pourtant je viens ici assez souvent.
Ce n’est pas comme la clinique ou je vais habituellement ; il y a beaucoup plus de service et la fréquentation des gens y est très différente. Je ne verrais pas d’inconvénient de payer pour les services médicaux, moi monsieur, j’en ai les moyens. Mais, comme tout le monde je viens dans des cliniques publiques. Pensez-vous que nous allons passer bientôt ? – Demande-t-il au monsieur au sourire figé et qui ne bronche pas. Sans exiger de réponse il continue son monologue qu’il a si bien entrepris. Plusieurs oreilles sont tendues à ses propos.
- Les temps ont déjà été tellement difficiles et j’en sais quelque chose. J’ai œuvré beaucoup et dans toutes sortes de domaines, moi monsieur, et j’ai réussi.
Ma maison je l’ai payé comptant, argent sonnant. Mes autos je les paye comptant ainsi que mes vacances tout comptant. Vous voyez ma bague ? Au bas mot elle vaut six cents quatre vingt dix dollars; au bas mot.
Je le regardais de biais et je voyais qu’il ne prononçait pas le mot dollar comme la majorité des gens.
Il ajoutait sur le ‘’o’’ un accent circonflexe probablement pour y mettre encore plus de pression; de valeur à ses yeux et à la fin de dollar il ajoutait une ‘’ e’’.
Ce qui donne approximativement : dôllare .
Je change l’angle de mon regard et fixe le petit homme au sourire qui, lui, n’a pas bronché. Un calme magnifique l’habite ; il sourit et répond par des hochements de la tête. Je trouve sa patience angélique. J’essaie de ne pas juger. Et son interlocuteur continue de plus belle.
-Et vous, monsieur, quel est votre emploi du temps ? Personnellement je suis dans les affaires et nous ne chômons pas ; toujours occupé. Cette semaine est une semaine de gros contrats pour la ville et nous négocions très ardûment.
Je détourne la tête et essaie de ne plus écouter ce verbiage. Mon mal de ventre me pince .
Je regarde à nouveau la maman qui a pris sur ses genoux sa petite fille épuisée. J’ai de la compassion pour elle car un enfant malade me touche beaucoup. Mes oreilles se tendent, encore, vers les deux inconnus devant moi. Mais cette fois c’est l’homme au léger sourire qui parle.
-J’ai bien hâte de voir le médecin car j’ai rendez-vous, après, au centre de bénévolat pour la distribution du dîner. J’espère que je ne serai pas en retard.
L’homme aux chaussures éclatantes fait une moue et recommence a jacasser.
-Ma dernière épouse, notre séparation date d’environ deux mois, m’intente un procès inimaginable. Elle veut tout obtenir de moi jusqu’à mes cartes de crédit.
Sur ce il sort son porte cartes et fait défiler devant les yeux de notre homme au sourire une ribambelle de cartes toutes aussi colorées les unes que les autres et demande à ce dernier :
-En avez-vous des cartes de crédit, monsieur ?
L’homme paisible lui répond :
-Non je n’en ai pas,
- et, toujours avec son sourire, rajoute :
-je ne suis pas solvable car j’ai fait faillite personnelle et je ne possède rien. Je n’ai pas de maison ni d’auto; je déambule à pied et j’aime la marche. Je souhaite que le médecin vienne nous chercher bientôt car, aussi, après avoir servi le repas ce midi, aux démunis, je vais aller au comptoir alimentaire pour quelques articles pour moi-même pour finaliser mon mois; je manque de nourriture.
Non je n’ai pas de carte de crédit, monsieur.
Un médecin sort de son bureau et appelle notre homme aux chaussures étincelantes qui se lève comme s’il avait eu un ressort sous lui.
-Enfin !
Dit-il en se dirigeant vers la porte ouverte du bureau tout en esclaffant haut et fort un ‘’bonjour docteur’’ à faire trembler les murs de la clinique.
Le petit homme sage et serein, tant qu’à lui, n’a pas bougé d’un iota. Son sourire paisible ne le quitte pas.
Ce fût son tour et d’un pas léger s’engouffre dans le bureau du médecin.
Je me dis :
-Lequel des deux est heureux et bien ?
Le ‘’ terne’’ ou le ‘’mirobolant’’ ? Et lequel des deux est le terne et l’autre le mirobolant ?
Le médecin me reçoit, enfin, moi aussi à mon tour.
Pierre D. (C)
Laval, Québec.