Quand les hommes vivront d’Amour…
Quand les hommes……
Paroles et musique: Raymond Lévesque. 1956
Quand les hommes vivront d’amour
Il n’y aura plus de misère
Et commenceront les beaux jours
Mais nous nous serons morts, mon frère
Quand les hommes vivront d’amour
Ce sera la paix sur la terre
Les soldats seront troubadours
Mais nous nous serons morts, mon frère
Dans la grande chaîne de la vie
Où il fallait que nous passions
Où il fallait que nous soyons
Nous aurons eu la mauvaise partie
Quand les hommes vivront d’amour
Il n’y aura plus de misère
Et commenceront les beaux jours
Mais nous nous serons morts, mon frère
Mais quand les hommes vivront d’amour
Qu’il n’y aura plus de misère
Peut-être songeront-ils un jour
À nous qui serons morts, mon frère
Nous qui aurons aux mauvais jours
Dans la haine et puis dans la guerre
Cherché la paix, cherché l’amour
Qu’ils connaîtront alors mon frère
Dans la grande chaîne de la vie
Pour qu’il y ait un meilleur temps
Il faut toujours quelques perdants
De la sagesse ici-bas c’est le prix
Quand les hommes vivront d’amour
Il n’y aura plus de misère
Et commenceront les beaux jours
Mais nous serons morts, mon frère !
Quand les hommes……
Le soleil filtre subtilement ses minces rayons à travers les fenêtres de la grande salle du centre de réhabilitation baignant, à quelques endroits, dans la pénombre. Cette pièce nous allions y séjourner pendant plusieurs heures, pendant plusieurs jours. Les sofas et diverses chaises disposés un peu partout démontrent toute l’activité qui règne les jours de la semaine. Aujourd’hui, dimanche, le chat trône dans l’immense place vide. Sur les tables quelques livres et papiers pêle-mêle gisent là ne demandant que leurs propriétaires viennent les récupérés. Dans un coin, absorbée par une lecture intense, Jeannine dévore les phrases avec un sourire en coin. Elle lance discrètement, à l’occasion, quelques petites exclamations de satisfaction, comme si elle est a découvrir l’Amérique. Le chat va se frôler sur ses jambes ; elle le caresse et il retourne s’étendre de tout son long sur le divan face au foyer.
J’entre dans la pièce et en fait le tour avec mon regard. Je me situe; me guide. La première fois qu’on entre en quelque part dans un lieu inhabituel nous sentons une forme d’insécurité. Je recherche quelques objets familiers ou du déjà vu, mais rien n’y fait. Je me laisse aller au gré du crépitement des bûches qui expirent dans l’âtre du foyer. Je me rapproche de ces braises presque éteintes et cherche quelques morceaux de bois pour les raviver. Peine perdue la boîte est vide ; je me résigne. Je me dirige vers le piano qui, comme un monument, occupe une bonne partie d’un autre coin de la vaste pièce. Je touche les notes en les effleurant. Je me demande intérieurement ce que je suis venu faire là. Mes yeux n’en finissent plus d’explorer l’endroit. J’ai accepté l’emploi de thérapeute le jeudi auparavant et maintenant je me retrouve dans ce lieu presque désert. Je me lève et me dirige vers la machine à café et m’y verse une tasse, j’essaie d’occuper mes mains pour chasser l’angoisse, la gêne et la timidité. Le temps me semble interminable. Des voix se font entendre tout au fond dans le petit couloir qui mène au bureau d’admissions. Des pas se rapprochent du grand salon. Deux personnes entrent à pas feutrés et se dirigent, elles aussi, vers la machine à café. Un grand bonhomme regarde furtivement, lui aussi, les alentours de la grande pièce.
Son guide, Marcel le directeur, vient à ma rencontre en entraînant avec lui son nouveau résident .Il nous présente l’un à l’autre. Il me regarde et dit :
-Pierre, je te présente Paul qui fait un séjour avec nous pour trois semaines. Paul, je te présente Pierre qui donnera de la thérapie dans quelques semaines; c’est notre nouvel intervenant.
Nous nous sommes serrés la main comme deux frères qui ne s’étaient pas vu depuis des siècles. Nous avons eu, tous les deux, la même impression que nous nous connaissions depuis fort longtemps, pourtant nous ne nous sommes jamais rencontrés Un climat d’amitié s’est établi entre nous comme une soudure qui scelle deux plaques d’acier. Nos regards, qui en ont vu et revu, se sont croisés solidement cette fois. Paul remercia Marcel pour son accueil.
Marcel me dit alors :
-Pierre, toi et Paul vous serez dans la même chambre pour la durée de sa thérapie.
Je me sentais ravi et plus en confiance mais ne pouvait dire pourquoi. Paul allait devenir un confident hors pair pendant ces trois semaines, jusqu’à son départ et ce sera réciproque pour moi. Nous avons parlé, partagé et jaser.
Pendant que Paul et Marcel règlent quelques petits détails d’inscription, je me dirige à nouveau vers le piano et commence a enfoncer les touches tout doucement. Les sons qui y sortent, des notes jouées au hasard, ne s’enchaînent pas. Je ne fais que faire passer le temps. Jeannine dépose son livre sur la table près de ses genoux, se lève et vient à ma rencontre. Elle se présente et nous nous serrons la main.
Elle me dit alors :
-C’est toi qui va donner la thérapie demain ?
Non, je ne commence pas avant trois ou quatre semaines. Je dois, auparavant, apprendre les rudiments de ce qui se donne ici et ensuite je vais enseigner. Je suis bien anxieux de débuter.
Elle me regarde et me demande :
-Sais –tu jouer du piano toi ?
Je lui réponds, avec un air embêté,
-Non malheureusement. Et toi ?
Alors elle s’installe et commence a jouer une mélodie d’apprentissage de piano. Les notes qui virevoltent remplissent la salle d’une certaine gaieté.
Le soleil darde un peu plus même si nous sommes en août. Quelqu’un est allé cueillir des verges d’or et des marguerites sauvages près de l’auberge et elles se dessinent admirablement sur le mur bleu ciel du fond de la salle ; je commence a me sentir chez moi. J’écoute Jeannine fredonner tout en jouant sur le clavier blanc et ébène. Mes pensées vont et viennent dans ma tête tout en écoutant la musique. J’ai obtenu cet emploi d’intervenant dans ce centre de réhabilitation pour devenir thérapeute et aider les autres. Et pourtant, et pourtant quelques semaines auparavant je consommais encore des drogues douces ; mais ne l’avais avoué à personne. Ce secret me pesait lourdement. Il n’y a rien pour rien et les hasards n’existent pas, comme m’avait dit un vieil ami .Je commence a le croire maintenant avec le recul ; j’avais besoin vitalement de ce séjour en thérapie et la rencontre de tous ces gens qui se sont trouvés sur mon chemin. À la suite de plusieurs mois sans alcool je m’étais laissé tenté par quelques cigarettes de hachis ; je le regrettais amèrement.
Jeannine complète son répertoire et nous échangeons, sur le moment, notre vécu. Paul revient dans la grande pièce et vient s’installer au piano. Il a un sourire a faire craquer n’importe quel dépressif ou personne négative. Il a toujours le mot pour rire et la phrase comique mais tout ça, je l’ai saisi plus tard, cache un être profondément souffrant et malheureux. Un hypersensible camouflé sous un amas de gestes et de paroles pour faire sourire et rire. Paul est un être attachant et tendre. Par son charisme il livre un message des plus profonds et humain. Je l’écoute et bois ses paroles. Il me demande :
Que veux-tu entendre, Pierre ?
Je lui demande :
-Tu joues ?
Il me répond :
-Je suis professeur de musique à l’école, c’est ma matière.
Surpris et heureux, je lui demande tout de go Sonate au Clair de Lune de Beethoven.
Paul s’exécute et en un tour de main de virtuose nous exécute la plus belle Sonate que je n’ai entendue depuis belle lurette. Les notes glissent partout dans la pièce embaumant d’un parfum suave l’atmosphère. Les verges d’or éclatent maintenant au son de la musique.
En finale Paul nous fixe de ses beaux yeux remplis d’une lumière éclatante .On voit que la musique est partie de lui et lui de la musique. Il glisse doucement ses mains sur le grand clavier et fait tourbillonner quelques notes sublimes.
Je le regarde et le remercie chaudement. Et, je me risque à tout hasard, lui demande s’il peut jouer la chanson : Quand les hommes vivront d’Amour de Raymond Lévesque et me fait signe que oui, mais me dit :
-Bien si je la joue, toi, tu la chantes !
Je lui réponds :
-Mais je ne connais pas toutes les paroles.
Et lui de rajouter :
-Bien lorsque je verrai qu’il t’en manque un petit bout je continuerai; ça te va ?
Je lui réponds :
-D’accord on commence ?
Avec son introduction et quelques mesures, il me fait signe alors de débuter les paroles. Et, avec Jeannine qui se joint à nous, nous chantons de tout cœur. Nous oublions les pourquoi, les comment et toutes les questions qui nous venaient à l’esprit. La musique nous envahie et nous berce comme les vagues de la mer recouvre la grève.
Cette chanson, après une semaine et apprise par cœur, devient notre hymne nationale à tous les résidents car nous l’interprétons tous les soirs, après le repas et la fredonnons à tous moments. Paul et moi avons développé une sincère relation amicale et fraternelle. Combien de fois ne nous sommes nous pas confiés un à l’autre et compris ; même quelques fois en pleine nuit en pleine crise d’angoisses passagères.
Lors de son départ, après sa thérapie de trois semaines, nous déambulions ensembles sur le petit chemin, avant qu’il ne monte dans sa voiture et nous avons fredonné : Quand les homme vivront d’amour …. en se serrant dans nos bras en pleurant et en disant ‘’ au revoir’’.
Paul m’avait donné le goût de vivre à nouveau.
Pierre D.
Laval