Archive pour février, 2009
Relèves tes manches et…..recommences !
( Relèves tes manches et…recommences !)
Les Ailes du Temps ©
(Février 2009)
Ce matin là, après avoir accompli mes routines journalières et m’assure que tout est en ordre, je monte chez moi prendre un café et me reposer un tantinet. Privilèges du concierge, depuis huit ans, que d’avoir son logement à même le complexe d’appartements. Je m’installe à la table de cuisine et discute avec ma conjointe. Nous parlons des prochaines fêtes de Noël et des cadeaux des enfants. Nous sommes en novembre et la neige s’est mise de la partie. Nous rions seulement à penser aux surprises que nous ferons aux petits cette année. Notre plus vieux n’a que quatorze ans, le deuxième, pour sa part, en a onze et le petit dernier vient d’avoir huit ans.
Soudainement on frappe à la porte. Je me lève et me dirige vers l’entrée en me disant qu’il s’agit probablement d’un(e) locataire qui a échappé ses clefs dans la cage d’ascenseurs ou quelconque problème semblable. J’ouvre et devant moi se tiennent deux huissiers qui exhibent leur plaque de la Cour, me tendent une enveloppe brune et me somment de leur remettre immédiatement toutes les clefs du complexe immobilier en ma possession ainsi que ma pagette. Abasourdi je leur demande ce qui se passe. Ils me répondent que toutes les explications se trouvent dans l’enveloppe qu’ils viennent de me donner. Je déchire promptement le haut de la lettre et y lis que je suis remercié de mes services et qu’à l’avenir je ne faisais plus partie des employés du complexe. Nous savions que l’administration discutait de restructuration mais ignorions qu’ils appliqueraient leurs décisions si promptement.
Ma conjointe viens me rejoindre, car elle a entendu la conversation, me regarde surprise :
-Que se passe-t-il ?
Je la fixe et lui désigne de la tête les huissiers en disant :
-Je viens de me faire congédier et, selon la lettre que je lis ici, nous avons un mois pour quitter le complexe immobilier. Nous sommes à la rue, toute la famille, et ce, quelques jours avant Noël. Je remets les clefs aux commissionnaires et referme la porte. Je retourne à la table de cuisine finir mon café en examinant la lettre de congédiement. Un grand vide s’ouvre devant moi. Je n’ai plus vingt-cinq ou trente ans ; j’en ai cinquante. Le marché du travail n’est pas propice aux cheveux blancs. Un tourbillon d’inquiétudes de questions me vient à l’esprit. J’essaie de communiquer par téléphone avec la gérante de l’administration mais elle a quitté pour, semble-t-il, d’autres occupations et on me laisse savoir que sa décision est finale.
Nous aurons donc a trouver un logement, pas trop éloigné de l’école des enfants, je devrai me retrouver un emploi dans les plus bref délais. Les fêtes s’annoncent bien tristes.
Nous déménageons en décembre, quelques jours avant Noël et je n’ai toujours pas d’emploi seulement les prestations d’assurance emploi pour survivre.
Au mois de janvier suivant, à la suite de ce choc, étant seul dans notre logement, je me suis mis a réfléchir sur mon sort et les paroles de ma mère me sont revenue à l’esprit :
Relèves tes manches mon Pierrot et recommences !
Je me souviens de ce moment, plusieurs années auparavant, lorsqu’elle avait prononcé ces paroles. Je venais de terminer ma septième année du primaire.
Je suis assis, seul, sur le balcon avant de la maison paternelle. L’école vient de finir et nous entreprenons les grandes vacances d’été. Je n’ai pas du tout le cœur à la fête comme mes amis, mes frères et mes soeurs .Nous avons reçu, avant de quitter l’école, le dernier bulletin final de l’année. Mes résultats sont désastreux.
Je redouble mon année scolaire avec mention : échec. Les mots me sautillent devant les yeux. Échec. Je vais devoir recommencer une année comme en cinquième année. Je sais par quelles expériences je dois passer et par quelles humiliations il me faut endurer; encore une fois. Je n’ai aucunement la bosse des mathématiques, je n’y comprends absolument rien. Là se situe ma faiblesse, je dois redoubler d’efforts, d’études et d’exercices pas toujours agréables.
Mon frère, plus âgé que moi entre dans la maison et s’exclame, à qui veut l’entendre, qu’il a eu un cent pour cent en mathématiques. J’en suis envieux. Les larmes me coulent sur les joues et je me sens découragé. J’entends une voix qui s’approche de la porte. C’est ma mère qui m’appelle :
-Pierrot, Pierrot as-tu eu ton bulletin ?
Elle sort sur le balcon et m’aperçoit en train de m’essuyer les larmes qui dégoulinent sur mon chandail. Je n’ai pas envie de parler et ne réponds pas. Alors elle s’approche de moi et me regarde avec compassion et me dit :
-Tu ne passes pas ton année mon Pierrot ?
Je la regarde et les larmes recommencent a se creuser de petits sillons sur mes joues un peu poussiéreuses :
-Non maman je coule à cause de mes mathématiques et je dois recommencer ma septième année. Recommencer comme en cinquième, maman. Elle sent tout mon désarroi.
Les sanglots m’étreignent et je détourne la tête pour cacher ma peine et ma honte. C’est alors que ma mère se rapproche de moi et me prends par la main pour me réconforter et me dit :
-Tu sais mon Pierrot, dans la vie c’est pas toujours facile on a a faire face à des difficultés et des échecs.
Seulement ce mot là qu’elle prononce me fait faire quelques soubresauts de larmes et de soupirs larmoyants. Elle continue :
-Tu n’as peut-être pas la bosse des mathématiques mais tu te débrouilles très bien en français et en histoire.
- Il ne faut pas se décourager et continuer le chemin. Il faut se relever les manches et recommencer. Toujours recommencer. Elle appuie sur ses mots pour me donner du courage.
-Ce que tu fuis te suit, et ce à quoi tu fais face s’efface. Souviens toi de ça .
À ces phrases une lumière se fait dans mon esprit : j’ai perdu une bataille mais je n’ai pas perdu la guerre. Tendrement ma mère, en termes encourageants et essuyant les larmes qui finissent de déambuler sur ma jeune figure me dit :
-Tes vacances commencent aujourd’hui, ne laisses pas ce contretemps gâcher tes congés et les plaisirs de l’été. Nous penserons et parlerons de tout cela au mois d’août lors de la prochaine rentrée scolaire.
Après un été bien rempli j’ai relevé mes manches et j’ai recommencé. J’entreprends, pour une deuxième fois, ma septième année du primaire.
Ce souvenir vient me montrer ce que j’ai a faire dans le moment présent.
C’est ce que je fais encore une fois. Je me suis renseigné pour des cours en informatique, me suis inscrit et fin janvier je retourne à l’école. À cinquante ans il faut le faire : tout un défi.
Ma mère m’a laissé cette phrase, qui plusieurs fois dans ma vie, m’a servie, et encore, aujourd’hui me sers autant à moi ; qu’à mes fils.
Relèves tes manches et recommences !
Combien de fois l’ai-je vue besogner tard le soir pour ses enfants. Combien de soirées l’ai-je vue accroupie à sa machine a coudre ou sur sa planche a repasser pour que nos vêtements soient prêts pour le lendemain. Nous étions sept. Toujours le mot pour nous encourager lors de nos déceptions, perte d’emploi de mon père et combien d’autres problèmes. Sa phrase du moment : relèves tes manches et recommences.
Pierre D.(C)
Laval
*Ma mère est décédée en 1995 suite à la maladie d’Alzheimer.
Les rendez-vous …!
Les rendez-vous….
Ce soir les rues sont désertes. La multitude n’y est plus. La lune brille de toute sa surface de miroir. Je marche d’un pas léger et sûr vers mon lieu de rendez-vous avec mes futurs inconnus. Un léger frémissement d’émotions me saisit. En fait ces inconnus ne le sont pas. Je me dirige vers une salle de rencontre avec d’autres alcooliques et toxicomanes plus ou moins sobres. Je sais, impertinemment, que j’ai un urgent besoin de voir, sentir, toucher et serrer dans mes bras des frères et sœurs qui vivent les mêmes problèmes que les miens. Un pressentiment, une intuition, un doute me vient subtilement à l’esprit mais je n’y porte guerre attention. Cette impression, teigne, me colle à la peau. Je me raisonne et laisse libre cours à mon imagination. Je n’écoute pas, cette intuition, et, à la place, rêve presque tout haut. Lorsque je consommais, alcool et drogues, j’avais une peur bleue de ces effluves de mon esprit. Mais cette fois, abstinent et sobre, l’image n’est pas la même. Cet après-midi, avant de m’engager pour ma petite marche pour aller à ma rencontre, j’ai trempé dans un bon bain tiède. Tout en étant dans un état de demi-sommeil, une voix m’est venue à l’esprit en me disant :
-Ce soir tu vas rencontrer celle avec qui tu vas vivre une très grande partie de tes prochaines années et tu auras des enfants avec elle.
Je me suis mis a sourire et, en fin, a rire. Je pensais et trouvais la prophétie farfelue .Tout en clopinant sur le trottoir je me suis remis ces paroles de cette voix en tête. Mais ces dires avaient piqué ma curiosité en fin de compte n’y croyant plus ou moins .Je tourne au coin de rue et me dirige vers l’école qui abrite la salle de meeting. Je vois de la lumière à l’entrée et me confie tout bas que le café sera prêt comme à l’habitude. Une petite rivière de sentiments de sécurité et d’émotions circule dans mes entrailles. Je suis anxieux de pénétrer dans la salle et de saluer mes amis et mes inconnus. Je monte les quelques marches qui mènent à la salle .En y pénétrant une lumière saisissante de néon me fait plisser les paupières, sensation désagréable. Je vois Bernard, affairé, à la table de café. Il me salue et nous nous serrons la main fraternellement. Je lui demande s’il a besoin d’aide et me réponds par la négative. Je donne un regard circulaire autours de la salle et personne d’autre n’est arrivé. Je me sers un café, passe devant la table de littérature et observe les dépliants plus ou moins pêle-mêle. J’y mets un peu d’ordre et me choisit un siège. Je retourne dans mes pensées de l’après-midi et j’essaie de me convaincre, cette fois-çi, que la voix n’était peut-être pas fausse mais avec un léger soupçon de doute dans mon affirmation. Je me dis tout bas :
-On verra bien.
Bernard qui m’a entendu me lance :
-Qu’est ce que tu as dit ? Tu m’as parlé ?
Surpris je le regarde et lui envoie comme missive :
-Non, non Bernard je me parlais à moi.
Continuant son occupation il m’oublie. Je reviens, comme un aimant, dans mes raisonnements insaisissables et de rêvasseries. Je me questionne si tout cela n’est qu’une idée d’imagination et de semi hallucination. Je ne suis certain de rien. Un tourbillon s’est fait un nid dans mon cerveau. J’essaie de rester calme et serein. Des gens arrivent dans la salle et saluent Bernard chaudement. Je les connais. Ils viennent près de moi me dire bonsoir et s’en retournent à la table à café. Je les regarde s’éloigner et revisse mes yeux sur la porte d’entrée. Mon coeur bat la chamade. Je me laisse emporter par les pseudos prédictions de ma voix d’il y a quelques heures ; tout en n’y croyant plus ou moins . Le rationnel prend le dessus sur le sensationnel et, à toutes les fois que quelqu’un entre dans la salle, c’est vice-versa. Je perds le sens du nord et de la simple logique. J’en suis tout bouleversé et renversé. Je me lève et me reverse un autre café pour me changer les idées.
J’entrevois mon ami André qui, entre, à son tour dans la salle. Je l’accueille comme à l’accoutumé, en le serrant bien fort dans mes bras, il sent ma fébrilité mais ne me brusque pas pour savoir ce qui se passe. Nous parlons, discutons et nous nous racontons notre semaine et nos péripéties. Suivent, aussi nos autres camarades assidus de la réunion du dimanche soir. Des éclats de voix se font entendre dans tout ce beau brouhaha. Les gens sont heureux et contents de se voir, de savoir que tous et chacun nous sommes bien en vie. Tous, les réguliers de cette réunion, nous jetons sur nos flancs des regards approbateurs de voir sourire et rire les autres .J’observe en angle et, du coin de l’œil, si par hasard il n’y aurait pas de nouvelles figures dans la salle et je sais très bien pourquoi mais ne le laisse pas transparaître.
Il est presque vingt heures et la réunion va bientôt débutée. Toujours pas de nouveau à l’horizon j’abandonne mes projections et mes fantaisies pour en revenir à la réalité du moment. Quelques personnes viennent, encore, se joindre à nous pour la réunion dont un père accompagné d’une très jolie femme portant une éclatante rose rouge.
Deux jeunes filles les suivent et s’installent dans les premières rangées de chaises près de la tribune. Le père, fièrement, fête son anniversaire de sobriété ce soir. Je jette un dernier coup d’oeil furtif dans la salle et n’y remarque aucun prospect avec qui je pourrais passer plusieurs années de ma vie et avoir des enfants. La réunion débute et se déroule normalement. Je suis convoqué devant l’assemblée, comme à toutes es semaines, pour faire un petit laïus sur les services et donner des nouvelles des autres groupes aux alentours de notre réunion. Je remarque qu’une des jeunes filles, accompagnant son père, a de magnifiques yeux bleus pénétrants. Je finis ma petite présentation et retourne me rasseoir. La réunion terminée j’aide les autres membres a ranger les chaises et accessoires et quitte pour me rediriger chez moi.
Le cœur un peu lourd et penaud j’entreprends l’envers du chemin que j’ai fait quelques heures auparavant. La lune brille encore de tout son bouquet. Quelques étoiles éparses font de petits clins d’œil ici et là. Je respire à fond et laisse un petit vent d’espoir m’envahir. Je me sens bien et je souris à la vie. En arrivant à la maison mes chats m’accueillent avec leurs ronrons. Je m’installe à ma table de cuisinette et réfléchis à ce que je viens de vivre. Je me raisonne et laisse le cours des choses arriver tout en restant dans l’Harmonie Divine. La vie continue.
Une année s’écoule, je finis des études à l’université et trouve un emploi dans un centre de réhabilitation pour alcooliques. Un samedi soir, au traditionnel souper de l’établissement les gens s’attablent pour déguster leur repas. Je suis assis tout au fond de la salle avec un résident en thérapie. Nous discutons de tout et de rien. Mes yeux, inquisiteurs, recherchent dans la salle des connaissances. Bredouille je reviens à la conversation avec le résident. Soudainement mon regard se pose sur les plus beaux yeux bleus qui m’ont été donné de voir. Je ne fais pas immédiatement le lien. La conversation continue et s’étiole tout au long du repas . Je risque furtivement de courts regards vers ces petites mers bleues que j’ai aperçu. La jeune femme semble bien timide. Tout en la regardant il me semblait que je l’avais déjà rencontrée en quelque part mais ne pouvait pas affirmer à quel endroit et à quel moment.
La semaine s’écoule et le samedi suivant, au repas du soir encore une fois, cette jeune fille se retrouve dans la salle avec son père. Un éclair vient me frapper le cerveau. Le fameux dimanche soir de l’an passé ! J’ai reconnu son père et elle aussi:
- Est-ce elle ?
Me dis-je avec appréhension.
-Elle est bien jeune !
Oui nous avons vécu plusieurs années ensembles et, oui, nous avons eu des enfants ensembles.
Pierre D. ©
Laval