Le dernier train.
Le dernier train.
( En mémoire de Claude Léveillé…voir plus bas la vidéo)
Les ailes de l’aurore viennent effleurer la suave brume montante du matin. Les oiseaux, comme des enfants dans une cour d’école, piaillent de tout et de partout. Les parfums douçâtres de la végétation incitent à respirer à fond leurs effluves. Un rang de marguerites, sentinelles de la voie ferrée, plient sous le poids de la rosée bleutée matinale. Les chants des oiseaux dominent l’espace, et, c’est à quelle espèce reviendra la plus haute clameur. Des gais bleus frivoles s’égosillent comme un télégraphe en se répondant. Des petits moineaux, inconscients du danger, sautillent entre les travers des rails qui s’étiolent à l’horizon rougeoyant. Les deux lignes parallèles se joignent au fond du canevas champêtre. La minuscule gare, déserte à cette heure, ressemble à une chaumière accueillante et chaleureuse. Des papillons de nuit, encore tout abasourdis de leur ivresse nocturne, battent des ailes en signe de leur épuisement de leurs virevoltes autours des lampadaires; éteints maintenant. Le soleil sonne la charge avec son artillerie lourde de rayons vermillon pénétrants. La horde d’ailés entame un hymne à la joie. Des roses, dans un bosquet, saluent de leurs gouttelettes de rosée, l’astre du jour et ses réminiscences bienfaisantes. Des pigeons, en rang d’oignon sur le toit de la petite gare, attendent une pitance qui sera jetée ça et là par des voyageurs insouciants ou distraits ou généreux. Leur roucoulement donne un ton joyeux au concert d’arabesques de tous leurs congénères. Au très loin on peut entendre venir le train qui coupe l’air avec son sifflet strident; mais ce n’est pas pour l’instant .La brume se faufile subtilement en essayant d’atteindre l’immensité de la voûte céleste. Comme le phœnix elle se brûle les ailes pour se désagréger. Elle laisse entrevoir la végétation tout autours de la gare. Je remarque un joli arrangement floral dispersé dans plusieurs plates-bandes encerclant la station. En retrait, à quelques pas des arbustes, il y a une closerie avec quatre chênes en pleine maturation d’environ cinq ou six ans. Un travail de main de maître réfléchit un amour pour les fleurs et les multiples graminées.
Je suis dans cette gare et je retourne chez moi après une courte absence. Je décide de faire les cent pas pour me dégourdir les jambes. Tout en serpentant le long de la voie, des jacinthes d’un mauve affriolant me sourient de toutes leurs pétales. J’arrive au bout du quai et fais demi-tour. À l’autre extrémité du dock apparaît une dame d’âge avancée. Elle semble trotter avec un panier d’osier. Son pas est nonchalant et elle ne s’avère pas pressée. Elle se dirige vers la gare encore fermée et inactive .Tout en déballant son matériel de jardinière elle scrute, par un regard circonspect, les alentours vides de la gare comme si elle cherchait quelqu’un. Je la croise du regard elle feint l’ignorance de ma présence et débute ses travaux auprès de ses protégés : les chênes en premier , ensuite les fleurs. Le chef de gare arrive, un café à la main, et me salue. J e répond par un salut cordial. J’ai déjà mon billet et je n’ai pas à aller au guichet pour en acheter un ; alors je reste à l’extérieur profitant des doux dards soyeux du soleil. Je m’installe sur un banc fraîchement peinturé mais sec. Des pigeons s’élancent du toit pour venir s’épivarder à mes pieds tout en pigossant quelques miettes imaginaires. Ils sont si près que je peux presque les toucher du bout de mon soulier. Je ne bouge pas pour ne pas les effrayer. Mes yeux fixent la dame faire ses ablutions de plantes en nettoyant les petites allées de brins d’herbes épars. Elle y met toute son ardeur méticuleusement , avec amour. Le soleil rajoute à la scène une douceur sereine. Je regarde sur ma droite et mes yeux glissent sur les rails argentés perçant l’horizon. Pas encore de train; il est trop tôt. Je me perds dans mes pensées et je me dis :’’nous prenons toujours un train pour quelque part’’ pour citer mon ami Robert; le train de la vie. Les pigeons s’en sont retournés sur le toit tout en roucoulant et en maugréant. Je cherche un peu d’ombre car les rayons du soleil pincent même à cette heure matineuse. Immergé dans mon esprit j’en sors par le son d’une voix qui sise à mes côtés. C’est le chef de gare qui sirote son café. Il vient de me resaluer encore une fois. Je lui réponds par la politesse et voyant qu’il désire engager la conversation je me retourne vers lui : -Y-a-t-il beaucoup d’achalandage dans votre gare ?
Il me répond en expert :
-Disons que ce n’est pas comme un grand centre mais les trains sont réguliers ; presqu’à toutes les heures. Pas beaucoup de voyageurs par contre. Quelques fois le temps est long surtout les journées d’hiver mais on s’y fait. Il y a un certain va et vient qui brise la routine. -Il fait une courte pause et reprends - :
Vous retournez chez vous ? Je regarde la veille dame et lui répond : -Oui, j’ai bien aimé mon séjour. Mais dites moi la veille dame qui jardine…est-elle à l’emploi de la compagnie de chemin de fer ? Elle a tout un pouce vert. Je l’observe depuis ce matin. Viens-t-elle tous les jours ? Prenant quelques gorgées de café ensuite il me dit : - Oh! C’est toute une histoire cette madame là. Non elle ne travaille pas pour nous et c’est elle qui a fait tout l’aménagement paysager de la gare; à elle seule. Imaginez qu’ il y en a du travail d’artiste dans ces plates-bandes. À quelle heure prenez-vous votre train ….- sans attendre ma réponse il me dit- :
-Celui de huit heures je présume ? Nous avons le temps. Je vais vous conter l’histoire de cette dame.
Quelques petits nuages duveteux commencent à rouler dans le ciel tout en camouflant un tantinet les rayons du soleil. Le chef de gare lance un petit regard furtif à la dame et débute son récit : - Elle vient d’une famille très honorable de la région. Elle s’est mariée et a eu trois enfants avec son mari. Ce dernier prend le train tous les jours, celui de huit heures justement, pour son travail à la grande ville. Elle vient le reconduire à la gare comme si c’était toujours pour la dernière fois. Ils s’enlacent tendrement et ne se laissent pas des yeux jusqu’au départ du mari. Lorsque le train quitte le quai d’embarquement elle le suit jusqu’au bout .Elle lui envoie la main et des baisers du bout des lèvres. Elle reste figée sur le quai de ciment pendant de longues minutes et, souvent, elle étanche de tendres et minuscules larmes sur ses joues. Le soir elle revient toujours une demi-heure d’avance pour accueillir son bien-aimé. Ils se serrent dans les bras de un et l’autre. Et avec le temps elle amène ses enfants avec elle pour faire un accueil familial et chaleureux au père . Le spectacle en vaut le coup d’œil.
De voir toute cette belle petite famille si unie et remplie d’amour .Et, cela monsieur, à tous les jours pendant plusieurs années. Les enfants vont à l’école, elle va les chercher et vient à la gare pour attendre son mari ; à toutes les fois c’est la fête.
Jusqu’au jour, il ya sept ans, le mari et les enfants prennent le train à la même heure, elle y est pour les y reconduire et laissez-moi vous dire que les au revoir sont plus que déchirants car elle ne peut les accompagner. Elle leur dit :
-‘’ Je vais vous attendre ici mes amours; je serai ici ‘’ Elle les a embrassé combien de fois et de fois .Le train a démarré et à plusieurs kilomètres plus loin il y a eu un déraillement ils furent tous tués sur le coup. Avant que nous ayons pu fouiller tous les décombres, soit en soirée, la dame se présente à la gare à la même heure, en fin de journée pour accueillir son mari et ses enfants. Elle n’était pas au courant de l’accident et est restée assise là ou vous êtes présentement toute la soirée. Je l’ai approchée et j’avais à lui annoncer la nouvelle. Elle lança un cri de douleur du fond de son cœur et pleura amèrement et longtemps. J’étais avec des compagnons de travail et lui demandions si elle voulait que nous allions la reconduire chez elle et chaque fois elle nous disait –‘’ non je vais attendre mes amours ici’’. Nous ne voulions pas la laisser seule et nous sommes restés dans la gare toute la nuit jetant un coup d’œil à la maman et épouse éprouvée. Elle ne bougea pas de la nuit et au matin elle y était encore. Après des funérailles bouleversantes nous ne l’avons pas revue. Et, par une belle journée de printemps, elle est venue me demander la permission de planter quatre chênes ; ceux que vous voyez là-bas. Elle leur a donné le nom de son mari et de ses trois enfants .Tous les jours, depuis sept ans, elle arrive à la gare et s’occupe de ses chênes et des plates-bandes. Elle repart qu’après le départ du train de huit heures et revient en fin de journée, vers dix-sept heures; l’heure du dernier train. Elle demeure assise ici à votre place et regarde les passagers comme si elle pourrait reconnaître son mari et ses enfants. Au début elle a commencé a s’occuper des fleurs et arbustes tout autours de la gare mais une fois le travail fini elle ne fait que ses présences le matin et le soir. Elle attend toujours le dernier train. On peut lire sur son visage la déception et la peine. Elle s’en retourne chez elle ; penaude.
Le chef de gare garde silence à présent ; tout comme moi. Quelques voyageurs affluent sur le quai et d’autres entrent dans la gare. Le commis se lève et me dit : -Bon vous savez l’histoire maintenant et, en passant, elle ne parle plus à personne depuis ce temps-là. Je vais travailler je vous salue, monsieur, et bon voyage. Il se dirige vers la gare et s’y engouffre. Je constate que la vieille dame est affairée dans les carrés de fleurs à l’arrière de la gare et j’en profite pour aller couper quatre tiges de jacinthe dans un petit fourré de l’autre côté de la voie. Je les dépose au pied de chaque chêne. Je reviens m’asseoir et attends patiemment mon train. Ce mastodonte se dandine joyeusement sur les rails et s’immobilise. J’y monte et m’installe près de la fenêtre. Le signal de départ est donné par le chef de train et nous décollons. Avec assurances les roues de métal s’agrippent aux rails et nous avançons. À l’extérieur du wagon je vois la dame me faire un signe de la main en guise d’au revoir et elle m’envoie un léger baiser soufflé de sa main; dans l’autre main elle tient une tige de jacinthe fraîchement coupée. Je lui souris et retourne un signe de la main.
Elle sera là ce soir pour le dernier train – me dis-je.
Pierre D.
Les Ailes du Temps
Laval, 9 juin 2011
Bonjour Monsieur, je viens de lire votre très beau texte intitulé Le dernier train. Je suis en train pour la radio de recueillir une série d’histoires sur ce thème.
Serait-il possible d’entrer en contact avec vous ? Je suis très intéressée par l’histoire que vous racontez.
Dans l’attente de votre réponse,
M Abat
06 80 62 61 70